Notre biologie évoluée nous sert brillamment à bien des égards, mais elle comporte également des vulnérabilités qui peuvent être exploitées. La technologie persuasive – une technologie qui façonne les attitudes et les comportements – appuie sur bon nombre de ces boutons, exploitant nos vulnérabilités pour générer de l’engagement et, en fin de compte, des revenus pour l’entreprise.
Notre cerveau est plus poreux qu’on a tendance à le croire. Nous façonnons notre environnement et, pour le meilleur ou pour le pire, notre environnement façonne notre cerveau. Lorsque nous utilisons la technologie persuasive de manière répétée, elle commence à nous former : nos pensées, nos sentiments, nos motivations et notre attention commencent à reproduire ce que la technologie est conçue pour produire. Cet entraînement crée une sorte d’élan neuronal qui nous rend plus susceptibles de persister dans ces comportements, même s’ils ne sont pas bons pour nous.
Les médias sociaux présentent un cas particulier de technologie persuasive où les leviers psychologiques sont actionnés encore et encore, souvent à notre insu. Nous ne cliquons pas au hasard : de nombreuses conceptions exploitent délibérément nos vulnérabilités les plus profondes en promouvant des comportements compulsifs qui compromettent notre autonomie et notre bien-être. Voici quelques-uns des exemples les plus marquants :
#1 – RENDRE LE TRIVIAL URGENT
Parce que notre attention est une ressource limitée, notre cerveau doit à tout moment déterminer ce qui est important. Le « réseau de saillance » du cerveau, qui comprend l’insula antérieure et le cortex cingulaire antérieur dorsal, nous aide à y parvenir. Lorsque le réseau de saillance est activé, nous sommes alertés des menaces et des opportunités. Agissant comme une sorte de coupe-circuit, le réseau de saillance signale quand le cerveau doit diriger ses ressources vers une nouvelle source externe.
Les notifications (vibrations, points rouges, lumières clignotantes, bannières) déclenchent constamment le réseau de saillance, nous trompant ainsi en nous faisant croire que quelque chose de nouveau mais trivial est urgent. Bien sûr, il arrive parfois que nous recevions une notification importante qui doit être mise en évidence, mais la plupart du temps, les notifications des réseaux sociaux agissent comme de fausses alarmes, compromettant notre capacité à nous occuper de ce qui est important.
#2 – ENCOURAGER LA RECHERCHE SANS SATISFACTION
Nous voulons des choses et quand nous les obtenons, nous les apprécions. Cependant, le circuit cérébral impliqué dans le désir (système dopaminergique mésolimbique) est beaucoup plus puissant que le circuit cérébral impliqué dans la jouissance. Le sentiment de vouloir quelque chose peut être si fort que même lorsque nous trouvons ce que nous voulons, nous n’obtenons pas beaucoup de satisfaction. Parfois, les réseaux de recherche dans le cerveau deviennent hypersensibles et nous devenons dépendants : des boucles de recherche sans fin. Dans la dépendance, ce que nous voulons se dissocie de ce que nous apprécions.
La technologie capitalise souvent sur la puissance du désir, offrant des possibilités infinies de recherche mais peu d’expériences rassasiantes. Nous pouvons trouver un plaisir éphémère, mais aucune satisfaction durable. Notre « tolérance » augmente et nous avons besoin de davantage pour obtenir les mêmes effets. Résultat : nous continuons à cliquer et à faire défiler, consommant du contenu sans réfléchir, souvent avec une surveillance minimale des régions de contrôle cognitif du cerveau. En fin de compte, ce comportement nous épuise, mais alimente des modèles économiques basés sur l’engagement.
#3 – NOUS FORCER AU MULTITÂCHE
La capacité de notre cerveau à traiter l’information est stupéfiante : des milliards de neurones entretiennent des milliards de « conversations » entre eux, activant de vastes réseaux de notre cerveau pour répondre aux exigences de la vie. Pourtant, les ressources de notre cerveau sont limitées : nous sommes des créatures très distraites et la qualité de notre attention peut facilement être compromise. Lorsque nous passons fréquemment notre attention d’une tâche à une autre, nous ressentons un « résidu d’attention » par lequel les pensées sur la tâche précédente interfèrent avec l’attention accordée à la tâche en cours.
Les réseaux sociaux inspirent ce multitâche, qui affecte notre contrôle cognitif, nos émotions et, en fin de compte, notre cerveau. Ces plateformes nous maintiennent engagés en permanence, déclenchant des comportements répétitifs et automatisés et affaiblissant l’activation des régions de contrôle cognitif préfrontal de notre cerveau. Un groupe de travail de l’Académie nationale des sciences a découvert que le multitâche médiatique chez les jeunes est associé à une mémoire plus faible, une impulsivité accrue et des modifications des fonctions cérébrales. Ces preuves nous encouragent à être prudents avec notre cerveau et à éviter d’inonder continuellement tous ses canaux.
#4 – Armer la peur et l’anxiété
Il y a vingt ans, des chercheurs ont rédigé un article influent dans lequel ils concluaient : le mal est plus fort que le bien. Les informations négatives attirent plus d’attention et façonnent les émotions et les comportements plus puissamment que les informations positives. Notre cerveau traite les informations à valeur négative – en particulier les stimuli liés à la peur – plus rapidement et plus minutieusement que les informations positives. Cela a un sens évolutif : dans la poursuite de la survie, la perte potentielle impliquée dans une expérience singulière de menace l’emporte sur le gain impliqué dans une expérience singulière de plaisir. Il n’est pas surprenant que les contenus des réseaux sociaux générant de la peur, de la colère et du dégoût se propagent beaucoup plus rapidement que les contenus positifs. Nous marinons dans cette négativité et cela propulse un engagement plus profond. La peur et l’indignation deviennent la norme et peuvent éroder notre sentiment de bonté et d’humanité partagée.
#5 – ENCOURAGER UNE COMPARAISON SOCIALE CONSTANTE
En tant qu’animaux sociaux, nous évaluons naturellement notre propre valeur en nous comparant aux autres. Le cortex préfrontal médial de notre cerveau donne la priorité aux informations nous concernant. L’estime de soi implique un processus continu d’affirmation de soi et de lutte contre les menaces qui pèsent sur notre estime de soi.
Notre habitude de nous mesurer aux autres nous incite parfois à faire plus, mais les comparaisons conduisent le plus souvent à des émotions négatives : envie, honte, anxiété ou vanité. Les réseaux sociaux augmentent considérablement la portée et les enjeux de nos comparaisons. Il nous inonde d’images hautement organisées mettant en vedette des personnes à des moments précis, montrant uniquement ce qu’elles veulent que vous voyiez. Les influenceurs établissent des normes d’excellence et nous attachons notre image de soi à ces idéaux. Nos « j’aime » – qui activent de puissants circuits de récompense dans le cerveau – deviennent un commentaire sur la partie la plus profonde de nous-mêmes. C’est une recette pour une comparaison compulsive, un doute de soi et un mélodrame égocentrique.
#6 – NOUS DIRE CE QUE NOUS VOULONS CROIRE
Notre cerveau est extrêmement sensible à l’exclusion sociale. Le rejet social fait mal de la même manière que la douleur physique peut faire mal. Par conséquent, nous subissons une forte pression pour nous conformer. Les algorithmes logiciels connaissent nos préférences, personnalisent et organisent les informations que nous recevons. Dans nos bulles en ligne, s’écarter de la ligne du parti comporte de sérieux risques sociaux. Lorsque nous nous investissons dans un point de vue particulier, nous célébrons les informations favorables et rejetons les informations contradictoires, un phénomène connu sous le nom de « biais de confirmation ». Poussée à l’extrême, notre société se retrouve à souscrire à différentes versions de la réalité. Lorsque les algorithmes nous disent ce que nous voulons croire, nous devenons plus polarisés et perdons le sentiment de nous-mêmes en tant que groupe social cohésif avec une compréhension partagée.
Références
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- Crockett, M. J. (2017). Moral outrage in the digital age. Nature Human Behaviour, 1(11), 769-771.
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- Rollwage, M., Loosen, A., Hauser, T. U., Moran, R., Dolan, R. J., & Fleming, S. M. (2020). Confidence drives a neural confirmation bias. Nature Communications, 11(1), 1-11.
- Rouault, M., & Fleming, S. M. (2020). Formation of global self-beliefs in the human brain. Proceedings of the National Academy of Sciences, 117(44), 27268-27276.
- Uncapher, M. R., Lin, L., Rosen, L. D., Kirkorian, H. L., Baron, N. S., Bailey, K., … & Wagner, A. D. (2017). Media multitasking and cognitive, psychological, neural, and learning differences. Pediatrics, 140(Supplement 2), S62-S66.
La transformation des mentalités est au cœur de ma mission. En tant que co-fondatrice de QE Intelligence Émotionnelle, un projet éducatif novateur, j’explore l’intelligence émotionnelle, la pleine conscience et la psychologie sociale pour offrir des outils concrets et accessibles à tous.
Spécialisée dans les approches brèves et orientées solutions, je combine leadership, neurosciences modernes, méditation, et pratiques d’intelligence émotionnelle pour accompagner chacun à créer, poursuivre et vivre pleinement une vision digne de leur vie.
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